, Karsakov, a été la sublime incarnation de cette nescience

, Fevronia la très pure, la très sage incarne comme ses soeurs l'opération innocente du charme ; le charme est l'opération toute gracieuse, sans complaisance ni ravissement ni retour de réflexion, comme Orphée et François d'Assise, la douce Fevronia est en société avec les hirondelles, les rossignols et les tigres

, La paronomase « l'instance de l'instant », toute jankélévitchéenne, renforce encore la fugacité de l'événement entrevu dans l'étincelle de sa fugitive apparition

V. Jankélévitch, , p.142

, Leibniz est un philosophe au balcon, affirme-t-il dans l'un de ses cours sur l'immédiat, un philosophe au balcon qui prend son envol et se met à distance pour mieux se désengager du monde

, ont aussi quelque chose de ce je-ne-sais-quoi typiquement jankélévitchéen. nouvelle et singulière. Chaque relecture du Quelque part dans l'inachevé par exemple possède une intensité particulière, l'émotion que l'on éprouve à son contact, toujours renouvelée, place la lecture sous le signe d'une éternelle redécouverte -alors même que le texte reste inchangé, que le quid demeure parfaitement invariant. L'irréversibilité du temps sans le je-ne-sais-quoi qui l'accompagne ne produirait alors qu'une différence relative entre les instants (le temps serait alors une arithmétique des instants qui se succèdent) ; alors que la différence se déploie à même la répétition, en rythmant chaque instant d'une ardeur singulière. Le nescioquid est donc une différence en soi 23 en tant qu'altération radicale, et pourtant il n'est pas une différence abstraite, un je-ne-sais sans objet, mais une différence rythmique, presque musicale, dans une gamme de notes, entre chaque instant vécu. Invoquons subrepticement ces derniers mots sublimes du Jene-sais-quoi et du Presque-rien : « il n'est rien de si précieux que ce temps de notre vie

. Lève-toi, C'est l'heure : Hora ! Tout à l'heure, il sera trop tard, car cette heure-là ne dure qu'un instant. Le vent se lève, c'est maintenant ou jamais. Ne perdez pas votre chance unique dans toute l'éternité

, lorsque se posait le problème de l'entrevision comme modalité d'accès spécifique à l'ineffable presque-rien par le savoir nescient. Car cette fine pointe du je-ne-sais-quoi, souvenons-nous, n'est pas un élément de la totalité ouverte, mais ce tout-autre hyperbolique qui maintient l'ouverture elle-même. Il concilie par ce mouvement l'absoluité de l'ineffable et la singularité des choses elles-mêmes. Par-là, il maintient encore ce « je » commun au je-ne-sais-quoi et au je-ne-sais du savoir nescient, jusqu'à l'interpeller personnellement dans la cime des rares instants privilégiés de notre vie, pour se dévoiler à lui comme mystère. Le nescioquid se présente au « je » comme une sorte d'amant, riche d'élégance et de tendresse, et Isabelle de Montmollin parle même du je-ne-sais-quoi comme d'un principe d'aimantation, lequel, venant intriguer les esprits, les emporte dans l'élan d'une « nostalgie érotique ». Le nescioquid, loin de s'apparenter à une quelconque instance abstraite et inatteignable, « se résume ainsi dans une invitation à aller outre et toujours plus loin » 24 , il est l'ouverture mystique qui nous élance dans cette tortueuse élévation au-delà de nous-mêmes, Peut-être « cette fine pointe imperceptible dans le firmament de l'éternité » est-elle alors la réponse la plus élégante et la plus profonde au questionnement qui ouvrait notre analyse

. Vi-dénouement and . Ouverture,

. Est-ce-alors-métalogiquement-possible, enraciner bourgeoisement dans le langage sécurisant des philosophes ? La réponse ne peut être que largement négative : le je-ne-sais-quoi, en tant que quasi-concept, doit se résoudre lui aussi à une forme minimale de sédentarité, surtout lorsqu'on en constitue une philosophie. Peut-être est-ce néanmoins par sa poésie et sa musicalité que l'on atteint cette limite de l'expression humaine, trop humaine, ce minimum d'entremise qui tend vers l'impalpable ; mais il n'en est nullement la manifestation authentique. Dans le cadre du langage, le je-ne-sais-quoi fait voile, non vers un au-delà mais vers un en deçà : l'immédiateté fugitive qui sous-tend nos discours et leur conceptualisation ; mais elle n'en est nullement, là-encore, la stricte manifestation -le langage philosophique ne pouvant se dérober à son statut de médiation. Alors peut-être cette question de l'indicible et de la mort, bien que difficile et préoccupante, n'était pas elle-même la vraie problématique de cette recherche. La véritable difficulté est ailleurs? Ecoutons alors une dernière fois Vladimir Jankélévitch sur les charmes de l'occasion : « l'occasion n'est pas seulement une faveur imprévue dont il faut savoir profiter et qui veut des âmes parfaitement disponibles pour la grâce occasionnelle de l'impromptu : elle est aussi quelque chose que notre liberté recherche et au besoin suscite. Si l'occasion est une grâce, la grâce suppose, pour être reçue, une conscience en état de grâce. Tout peut devenir occasion pour une conscience inquiète, capable de féconder le hasard. C'est l'occasion qui électrise le génie créateur, -car l'occasion est l'électrochoc de l'inspiration ; mais c'est pour le génie créateur que la rencontre, au lieu d'être une occurrence muette, devient une occasion riche de sens. Et c'est justement cette causalité réciproque, ce rapport paradoxal de l'effet-cause à la cause-effet, cette contradiction de la causa-sui qui donne à l'improvisation la profondeur d'un processus créateur. L'improvisation n'est pas seulement une opération hâtive, une manoeuvre, Peut-on exprimer cette fugitive apparition-disparaissante sans la dénaturer par le logos, sans l'enfermer dans cette close conceptuelle qui s'efforce de la saisir au, p.25

, instruire et à impulser en elle cet élan qui lui permettra de saisir dans les instants privilégiés de sa propre vie, la grâce occasionnelle qui vient en dévoiler l'intensité et la valeur. Il faudra donc déranger Kant une dernière fois, et le réveiller de son sommeil métempirique « à partir de l'amorphe balbutiante » du je-ne-sais-quoi. Cette initiation, qui consiste en une longue et méthodique préparation de la conscience, s'exprime par une écriture foisonnante, légère et pleine de poésie qui met la conscience en état d'apercevoir l'immédiateté fugitive qui la soustend -c'est ce style si particulier de Jankélévitch, dont on a l'impression qu'il est présent dans chacune de ses phrases, Voici l'objet de la philosophie du nescioquid : si « la grâce suppose, pour être reçue, une conscience en état de grâce, p.26

B. Bergson and . Henri, Revue de Métaphysique, 1911. Jankélévitch, Vladimir, Berlowits, Béatrice, Quelque Part dans l'inachevé, Gallimard, 1978.

V. Jankélévitch, L. Je-ne-sais-quoi, T. I. Le-presque-rien, and . Paris, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, tome II, La Musique et l'ineffable, éditions du Seuil, 1980.

P. Klein, L. Michel, M. De-la, and L. Cerf, La métalogique de la mort, 1988.

. Montmollin, , 2000.

H. Bergson, Revue de Métaphysique, 1911.