, Seul personnage masculin de l'opéra à être doté d'une voix qui relève du registre grave (baryton 13 ). C'est cette voix émergeant de la citerne qui arrête Salomé. Et si ce qu'il dit l'intrigue puis l'attire, c'est ensuite le son, le timbre de cette voix sur quoi elle va se fixer. Elle reste sourde à ce que Iokanaan lui signifie, quelle que soit la violence des réponses qu'il lui donne : parle encore, lui répond-elle toujours. Elle n'entend que la dimension musicale, elle le dira d'ailleurs clairement : ta voix était un encensoir, et quand je te regardais, j'entendais une musique mystérieuse. Le traitement vocal du rôle de Salomé est en total contraste avec celui de Iokanaan. Si pour ce dernier la voix porte le texte, le fait entendre, pour Salomé c'est le texte qui est support de la voix, le texte articule la pâte, la matière sonore. Dans une certaine mesure, du point de vue de la perception, nous sommes dans une situation contraire à celle que je viens de commenter. Si Salomé n'entend que le son de la voix de Iokanan, nous, nous entendons les mots de Iokanaan et la voix de Salomé. Cette problématique du rapport texte-musique, et la question de la préséance de l'un ou de l'une, sur l'autre, est un souci constant pour Strauss, souci qui ne trouvera jamais de solution définitive comme il le dit lui, Coda : Voix et Autre La voix, l'objet-voix C'est autant comme voix que comme personnage de chair et d'os que Iokanann intervient dans l'opéra

, De la première scène au début de la seconde, p.7

, Hérode : ténor ; pas de choeur

S. Richard, . Anecdotes, T. Souvenirs, J. Pierre-meylan, and . Schneider, , p.49, 1951.

, Strauss est l'héritier d'une tradition opératique, celle de Wagner. Nous avons vu deux caractéristiques qui en sont issues : la continuité du discours, que Strauss pousse bien plus loin que son prédécesseur, et la technique du leitmotiv. Je veux en signaler une autre, bien plus souterraine, Autre Enfin quelques mots à propos du rapport à l'Autre musical

, Si chaque indice détecté dans la partition, pris séparément peut faire douter de la réalité de l'emprunt, lorsque l'on considère l'ensemble des cellules motiviques dissoutes dans l'écriture straussienne, aucun doute ne peut subsister. Ce sont, et le début et la fin du Tristan, qui viennent se tramer au début et à la fin de Salomé. Ils ajoutent un nouveau réseau, une nouvelle strate à celles que je me suis attachée à dégager aujourd'hui. Nouvelle strate qui, encore une fois, simultanément capitonne et élargit le réseau significatif. Les leitmotive wagnériens dits du désir, de la mort

, Mon propos était aujourd'hui double : tenter de montrer comment dans une oeuvre singulière émergent ses effets, comment la relation langue/lalangue peut aller jusqu'à se trouver au centre de la problématique compositionnelle d'un compositeur, enfin tenter de mettre en lumière le fait que cette émergence ne se situe pas simplement au niveau des significations et des fonctions dont la musique peut se faire le médium, mais au coeur même de son matériau et de la façon dont il est exploité. Pour cette illustration j'ai choisi une oeuvre, d'une période de notre histoire qui conteste le trésor commun de la langue, c'est à dire qui remet en cause le langage de l'Autre. Une oeuvre qui traite du désir, de son rapport à la loi, et de ce qui en résulte lorsque la Loi fait défaut. Une oeuvre qui se nourrit de son héritage, mais qui le désarticule et le réarticule à sa façon. Je laisserai les derniers mots à Lacan par lesquels il rend hommage à Marguerite Duras et plus largement aux artistes : Le seul avantage qu'un psychanalyste ait le droit de prendre de sa position, Marcel Drach en fera une théorie demain à laquelle je souscris complètement

, La limite où le regard se retourne en beauté, je l'ai décrite, c'est le seuil de l'entre-deuxmorts, lieu que j'ai défini et qui n'est pas simplement ce que croient ceux qui

, ] fussent-ils pris dans les ronces de l'amour impossible à domestiquer, vers cette tache, nocturne dans le ciel, d'un être offert à la merci de tous

L. Jacques and A. Écrits, Éditions du Seuil, pp.192-193, 2001.

. Ibid, , p.194

. Ibid, , p.197