, Que devient dans tout cela le secteur qui nous occupe ? Dans les rapports moraux prononcés chaque année par les présidents de la Chambre, il n'y a aucune allusion à ce propos avant l'exercice 1950. Dès 1946 cependant, il est annoncé qu'une Ecole fonctionne, sous l'égide de l'AGEAM (Association de Gérance des Ecoles d'Apprentissage Maritime) 66 . Elle est destinée à la formation des jeunes recrues de la pêche

, Eugène Canu adressé à l'inscription maritime, Courrier

, Chambre de commerce et d'industrie de Boulogne-sur-mer, rapport moral établi par M. le Président J. de la Bouillerie pour l'exercice 1944, 6 janvier 1945, p.65

, La circulaire stipule en effet que les enfants de cette catégorie « sont essentiellement justiciables d'établissements scolaires qui doivent être agréés par le ministère de l'Education nationale ». Louis Le Guillant souligne alors le décalage de cette conception avec les besoins et la pratique sur le terrain (n'oublions pas que nous sommes en 1949, à la sortie de la guerre) : « En fait, il existe un nombre assez considérable d'enfants sensiblement normaux qui, du fait des circonstances ou de leurs conditions de milieu, ont besoin d'assistance. C'est ce que l'on nomme les « cas sociaux ». Ils n'entrent expressément dans aucune des catégories donnant droit à cette assistance. La société semble considérer que, dans ces cas, elle ne doit à l'enfant ni aide ni protection. Sans doute beaucoup d'entre eux pourraient-ils être pris en charge par l'Assistance à l'enfance, mais les pouvoirs publics ne se sont pas suffisamment souciés de lutter contre les préjugés existants à l'égard de cette institution, fort discrète et plus ou moins ignorée, ni de faciliter et d'adapter ses interventions ou de donner à celles-ci des formes nouvelles plus attractives. Il existe ainsi une sorte de no man's land de la misère, de l'ignorance et du malheur, étranger à la solidarité sociale, aux frontières changeantes, tour à tour réduit par quelques dispositions législatives, Gabriel Duval dans sa publication intitulée Les Franciscains, le foyer du marin et l'apostolat maritime à, 1931.

, une reconnaissance légale quant à leur rôle dans la protection de l'enfance et ne disposent d'aucune autorité légale sur les enfants qui leur sont confiés. Il propose donc un projet de loi élargissant le domaine de l'assistance sociale à l'enfance et leur reconnaissant un statut spécifique. Il pointe enfin le changement de vocabulaire en cours dès la fin des années quarante et les réalités très différentes qu'il recouvre : « Peut-être surprendrons-nous certains lecteurs en leur apprenant que, derrière l'expression « maison d'enfants », très « éducation nouvelle », existent concrètement et quasi exclusivement les orphelinats traditionnels, quelques soixante mille lits en France. Nous ne dirons rien de ces oeuvres que chacun connaît plus ou moins et dont certaines demeurent dans des modes de vie clos et archaïques, alors que d'autres, au contraire, jouent à fond la carte du progrès technique. Du moins faut-il avoir bien présent à l, Louis Le Guillant insiste alors sur le fait que les orphelinats souffrent non seulement de l'absence de ressources définies mais qu'ils ne sont pas l'objet d

, Plus de dix ans plus tard, la situation a peu évolué, ainsi que le montre Maryvonne Garré, inspectrice de la Population à Evreux, dans son article daté de 1961, intitulé « Les maisons d'enfants à caractère social ». Malgré l'ordonnance et le décret du 5 et 7 janvier 1959 qui viennent réviser les dispositions de la loi de 1933 et prennent en 129, pp.376-393

, Maryvonne Garré reconnaît que la législation a été longtemps complexe, imprécise, demeure incomplète, principalement en ce qui concerne les conditions d'installation de ces établissements : « L'opinion publique a encore coutume à l'heure actuelle, quelle que soit l'évolution qui s'est produite en la matière, d'opposer les orphelinats et les maisons d'enfants à caractère social, de création beaucoup plus récente, compte la spécificité des maisons accueillant des enfants en difficulté sociale, malgré aussi le nouvel arrêté du 13 juillet 1960 permettant aux maisons d'enfants à caractère social habilitées d'obtenir le remboursement des frais de séjour par les collectivités publiques sur la base d'un prix de journée

, Cette position des services de la Population, très critique vis-à-vis des orphelinats, semble bien avoir eu des répercussions sur l'orientation choisie par notre association

, Parmi ceux qui expriment leurs réserves sur le qualificatif « orphelinat maritime », on retrouve bien sûr Mlle Bavière, qui en tant que représentante du service social défend une ouverture aux « cas sociaux », mais aussi un membre de la Chambre de commerce qui évoque les nouvelles stratégies à déployer pour obtenir des financements : « Nom à donner à l'orphelinat : une autre appellation est proposée par Mlle Bavière, assistante sociale, qui regrette le terme « orphelinat ». Mlle Bavière confirme son point de vue et précise que cette appellation « d'orphelinat » fait naître des réserves dans les milieux maritimes et gêne quelque peu le recrutement des enfants. M. Le Garrec suggère l'appellation de « Centre d'accueil des enfants de la Marine ». M. Sénéchal [Il s'agit d'Emile, armateur, trésorier de la Chambre de commerce] est d'accord pour la suppression de ce terme « orphelinat » qui pourrait faire apparaître des difficultés pour le versement des subventions, Même si le premier groupe qui se réunit pour rouvrir l'orphelinat, semble se caractériser par un fonctionnement presque autarcique -une assemblée de notables locaux pour un projet exclusivement local -les discussions autour de la refonte des statuts en mai 1959 semblent vouloir tenir compte du nouveau contexte, p.131

, Le changement est dans un premier temps avant tout symbolique : le terme de « maison » a effet des connotations plus positives et modernes que le mot « orphelinat », devenu presque vieillot et qui ne manque pas d'évoquer ces institutions aux murs chargés d'histoires et aux méthodes surannées. Cela n'empêche pas l'association de continuer à utiliser au niveau interne le qualificatif « d'orphelinat 130, Revue Informations sociales, pp.31-37

C. A. Réunion, du 11 mai 1971, archives de la MEM

A. De-la and M. , , vol.28, p.29

, Lettre du 27 mars 1973 de Dauthieu à Sénéchal, Archives de la MEM, p.26

, Ecole d'apprentissage maritime voisine ou embarquent sur des unités de la flottille étaploise » 142 . Cependant dans les listes de pensionnaires, très peu parmi eux semblent s'y être destinés et quand cela se produit, cela semble suffisamment exceptionnel pour être signalé : « L'effectif s'est maintenu constamment aux environs de 40 enfants. Cette année l'un de nos pensionnaires, orphelin de père et se destinant à la Marine va entrer à l, Paul Le Garrec indique que « 3 ou 4 garçons se destinant à la pêche entrent à l, 1963.

, En 1962, le directeur de l'établissement demande ainsi à l'administrateur Bolopion une dérogation pour l'enfant Daniel D. pour naviguer avec son frère à la pêche artisanale à Etaples. Ce dernier ne voit aucun inconvénient à cette dérogation, mais désire obtenir l'avis de Mlle Bavière, qui déclare à son tour que puisque son frère est fiancé et que sa fiancée semble se soucier du sort de l'enfant, elle n'y voit pas d'objection 144 . Par ailleurs, les quelques dossiers d'enfants conservés au siège, qui datent surtout de la fin des années 1960, début des années 1970, évoquent le parcours d'un certain nombre de pensionnaires sur les bateaux, en tant que mousses, aide-cuisiniers, aideentretiens, etc. Les cartes postales envoyées par ces jeunes au directeur de la maison ou au président de la Chambre de commerce sont précieusement conservées et donnent un aperçu de la vie à bord : « Rotterdam le 26 juin 1970 : Cher M et Mme Le Garrec, j'espère que vous êtes en très bonne santé et que le beau temps règne. Hier, j'ai reçu une lettre de M et Mme Cochois me disant que j'étais admis à l'examen d'essai manuel de la Marine marchande, j'ai été content d'apprendre cette bonne nouvelle, j'en ai informé l'équipage de ma réussite, La vocation maritime des enfants accueillis à la maison, considérée comme « naturelle et prédestinée » est pourtant toujours mise en avant, 1963.

. Callao, Le moral est toujours bon et la santé est bonne. J'ai passé une visite au Canal en zone américaine. J'espère que la rentrée des classes s'est bien passée et que tous les garçons n'ont pas fait la grimace en retrouvant leur école

, Enfin si tout ce passe bien, c'est parfait. Nous serons en France vers le 15 novembre, je débarquerai à Dunkerque, si vous avez un moment vous pouvez y venir pour visiter le bateau, si le travail ne vous prend pas entièrement. Nous faisons toujours Valparaiso malgré la révolution qui se passe au Chili, nous sommes le premier bateau à pouvoir y rentrer, depuis les événements le couvre-feu est à 18 h30 jusque 6 h du matin, J'ai acheté une guitare et plusieurs disques du folklore équatorien et péruvien. Ne voyant plus rien à vous dire, je vous quitte. Signé Marcel, p.145

, En 1964, le directeur de la maison signale le cas d'un de ses pensionnaires, très bon élève, et dont le souhait d'entrer à l'Ecole normale est mal vécu par ses proches : « M. Cochois évoque le cas de Denis T, dont les résultats scolaires sont excellents et qui est resté dans l'établissement en dépit de ses 16 ans à titre de surveillant. Le Garrec précise que Denis est fils de marin

, Un des autres débouchés classiques, et souvent demandé par les garçons, est l'enrôlement dans l'armée, or il s'agit plus de l'armée de terre ou de l'air que de la Marine. De plus, quand en 1968, le conseil d'administration s'inquiète du devenir des jeunes, qui ayant atteint l'âge de 16 ans ne peuvent plus continuer à vivre au sein de la maison, la proposition offerte par l'administrateur en chef de les héberger au foyer du marin, ne semble pas résoudre le problème : « Objection importante : si les jeunes sont bien de milieu maritime, si l'on s'en tient à leur origine, tous n'ont pas la vocation de naviguer, En conclure pour autant que la majorité des jeunes, ayant fait un séjour dans la maison, s'est orientée vers un métier de la mer serait bien aventureux, p.147

, La réticence de certains jeunes à suivre les traces de leur père disparu en mer ou dont la situation les a conduits à être placés sous tutelle, semble se confirmer par la suite : 145. Archives de la MEM, p.55

, Comment cela s'est passé dans les autres orphelinats maritimes du littoral ou dans les écoles de mousses ? Cette histoire se trouve à mi-chemin du champ des politiques éducatives et sociales et du champ du monde du travail. D'autres orphelinats ont ainsi été ouverts pour accueillir « les fils de » (postiers, cheminots, militaires, policiers, etc.). Il serait intéressant d'aller explorer leurs archives, corps de métiers et de leurs syndicats respectifs ? Avaient-ils tous la même conception de l'éducation et de l'assistance ? La pédagogie de la