"Significations musicales et représentations genrées dans le metal. Le cas du gothic metal" (Communication du 19 décembre 2014 Université d'Angers) - Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2018

"Significations musicales et représentations genrées dans le metal. Le cas du gothic metal" (Communication du 19 décembre 2014 Université d'Angers)

Résumé

Je me propose d'explorer la question des représentations genrées dans les significations musicales du heavy metal. Ma démarche s'inscrit dans le champ de la musicologie dite "féministe" (les "études musicologiques de genre"). Mon étude porte sur les significations véhiculées par la musique elle-même, c'est-à-dire ce qui se joue en deçà du sens porté par les paroles. J'entends par là qu'outre le sens patent des paroles des chansons, la musique elle-même est porteuse de significations spécifiques liées à l'expression ou l'évocation d'émotions, d'atmosphères, d'état d'esprit, de sensations, de caractères, etc. Cette étude repose donc sur une herméneutique et une analyse sémiotique de ces musiques, explorant l'articulation signifiante des structures musicales spécifiques les plus couramment utilisées dans ces genres (harmonisation, progression d'accords, échelles modales, mélodie, rythme, timbre, techniques vocales, instrumentation, arrangements, etc.). Ainsi, ma démarche se situe dans une perspective d'abord musicologique qui se concentre spécifiquement sur l'étude de la musique elle-même et du sens qu'elle déploie en termes d'imaginaire, tout en tenant compte des catégorisations stylistiques qui en découlent parfois. L'objectif spécifique est ici d'aborder un type de signification musicale en particulier : les significations genrées souvent déployées dans ce type de musique, en examinant comment certaines constructions de genre se manifestent musicalement. En effet, comme l'ont déjà exploré des travaux de musicologues tels que Susan McClary, Lucy Green, Marcia Citron, Robert Walser, et d'autres études, la musique est aussi porteuse de significations sociales, politiques, et parfois de significations genrées. Par "signification genrée", j'entends que certaines qualités expressives en musique peuvent renvoyer en filigrane à des caractères associés à des représentations culturellement et historiquement construites de la masculinité (force, brutalité, puissance, etc.) ou de la féminité (douceur, mélancolie, fragilité, etc.). L'objectif est donc ici de mettre en lumière la façon dont le décodage souvent inconscient de ces significations musicales peut influer sur la perception, la réception et la définition de certains sous-genres. Pour illustrer ces points, je porterai plus spécifiquement mon attention sur l'exemple d'un sous-genre emblématique des mutations et croisements que le metal a connus durant les années 1990 : le gothic metal ; un cas d'étude intéressant en raison notamment de la distribution genrée très marquée des rôles et des personnages, qui sert souvent d'"ancrage" (au sens barthésien du terme) aux significations musicales déployées par la musique. On s'intéressera aussi aux glissements sémantiques que le terme "gothic metal" lui-même a connus au fil des années au regard des significations genrées qui lui ont été associées. En effet, ce terme, initialement utilisé pour décrire un sous-genre musical combinant des éléments liés au doom metal/doom-death metal à la musique issue de la scène gothique/post-punk (notamment les sous-genres de la musique gothique tels que l'ethereal wave et la darkwave néoclassique comme celles de Dead Can Dance ou Lycia), le sens donné au terme "gothic metal" s'est vu considérablement élargi au tournant des années 2000 pour y inclure des approches musicales ayant peu ou pas de liens avec l'esthétique d'origine, ni même avec la scène gothique originelle des années 1970-1980. Au fil des années, le terme est devenu une appellation fourre-tout caractérisant toute musique marquée par la présence d'une chanteuse souvent tenue comme marqueur stylistique en soi - comme si être femme était une "spécificité musicale" à part, faisant office d'identificateur stylistique à part entière. Cette façon de percevoir l'arrivée grandissante des femmes par ce biais, à cette époque charnière, comme une caractéristique stylistique particulière et indifférenciée, met en exergue les présupposés normatifs et androcentrés implicites d'une partie de la scène (la culture patriarcale ayant souvent tendance à indexer les valeurs de normalité, de diversité et d'universalité sur le masculin, là où le féminin est pensé comme l'apanage du particulier et de l'altérité). Cette perception est d'autant plus contradictoire, que nombre de formations pionnières et emblématiques du genre (Paradise Lost, Type O Negative, Moonspell, Tiamat entre autres) n'ont paradoxalement pas de membres féminins permanents et ne font appel aux contributions de musiciennes que très occasionnellement. À leur tour, ces glissements sémantiques ont influé au fil du temps sur la perception de ce terme et du type d'esthétique qu'il était censé désigner, le parant insidieusement de connotations négatives, le ramenant parfois à un genre repoussoir perçu comme plus "mélodique", plus "commercial", "édulcoré", associé au féminin et à la séduction facile ; bref, un genre perçu comme plus "facile", "plus accessible", donc moins "authentique", moins "radical" et moins "sérieux". Tout cela entraînant des représentations négatives ou dévaluantes, ramenant ce genre à un "metal pour filles ou pour petites amies de metaleux", bref, une version "light" de metal, aux yeux de nombre d'amateurs de metal plus extrême ou plus traditionnel ; si bien que des groupes correspondant pourtant en termes d'esthétique à l'usage qui en était fait à l'origine préfèrent se tenir à distance de la qualification "gothique" à leur propos sans doute pour éviter les amalgames, les présupposés et les représentations négatives. Cette perception, on l'a dit, éclaire certaines normes genrées prévalant dans le milieu et conditionne encore l'horizon des attentes esthétiques de la scène, bien que celle-ci ait beaucoup évolué au fil des décennies et qu'elle ne puisse pas être appréhendée comme un tout monolithique. Toujours est-il que, comme d'autres études l'ont souligné précédemment (notamment les travaux précurseurs de Weinstein et Walser), l'univers du metal s'est souvent construit autour d'un imaginaire masculiniste mettant en avant des valeurs et représentations virilistes et androcentriques. Au regard de ces questions, il nous faut aussi aborder la question de l'inclusivité accrue des femmes dans le monde du metal qui s'est opérée avec l'essor de ce sous-genre musical, entre autres, à cette époque, où de plus en plus de groupes recrutaient des musiciennes dans leur formation. Certes, ce genre a permis de mettre davantage en avant la participation féminine dans une scène qui était alors encore très largement androcentrée. Cette évolution a indéniablement permis de faire bouger les lignes en comparaison de la précédente génération de musiciennes dans les années 1980 souvent ramenées à un rôle d'objectification. On pourrait donc considérer a priori cette participation accrue, comme un signe d'évolution paritaire au sein de la scène metal, surtout au regard du succès important que rencontrent ces formations à la fin des années 1990 et du statut emblématique qu'ont connu nombre de musiciennes associées à ce genre. Mais cette esthétique au regard de l'imaginaire romantique sombre et des représentations archétypales qu'elle a déployées a aussi contribué à ancrer et entériner certains rôles genrés paradoxalement assez stéréotypés, à l'instar de l'imaginaire que déploie l'esthétique dite de la "belle et de la bête", et des effets de contraste sur lesquels elle joue (opposant l'archétype de la douceur angélique de la jouvencelle fragile à la brutalité et la puissance masculine). Malgré une visibilité accrue des femmes, ces musiques ont ainsi parfois entériné, sans doute inconsciemment, des archétypes et des représentations traditionalistes quant aux représentations essentialistes et aux rôles assignés aux femmes dans l'imaginaire qu'elles déploient. C'est donc l'articulation de ces différentes problématiques qui s'entrecroisent que j'entends explorer en m'appuyant sur l'analyse des constructions musicales et sémiotiques (expressives, symboliques ou stylistiques) liées aux questions de genre (au sens de gender).
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03270472 , version 1 (24-06-2021)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03270472 , version 1

Citer

Frédérick Duhautpas. "Significations musicales et représentations genrées dans le metal. Le cas du gothic metal" (Communication du 19 décembre 2014 Université d'Angers). Heavy Metal et Sciences Sociales 18-19 déc. 2014 Angers, Gérôme Guilbert, Dec 2014, Angers, France. ⟨hal-03270472⟩
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