De la phonographie à la lutherie numérique. L'épiphanie du son artificiel - Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2002

De la phonographie à la lutherie numérique. L'épiphanie du son artificiel

Résumé

La synthèse du son pourrait être définie comme la composition du sonore. Avant de se risquer à approuver cette hypothèse, considérons d'abord les aspects qui entrent en jeu dans cette activité. Avant de nous pencher plus avant sur ce point, j'aimerais d'abord poser deux questions : comment le compositeur s'approprie-t-il la technologie de son époque? Comment son usage se transforme-t-il en technique? La synthèse analogique est un cas très clair pour la prise en compte des contraintes qui grèvent la notion de composition. Les dispositifs matériels résistent : les modifications de timbre sont limitées par la qualité des dispositifs composant l'environnement utilisé. La qualité, ici, se comprend comme la catégorie de ce qui rend possible l'expression d'une intention. Sur un instrument de musique conventionnel, elle se réfère autant à l'excellence du timbre qu'à la ductilité offerte aux modes de jeu de l'instrumentiste. En d'autres termes, elle est elle-même composite et assemble deux propriétés indépendantes, que l'on désignera comme matière et degrés de liberté. La matière est le résultat de l'excitation du corps sonore. Elle est le son. Les degrés de liberté sont le moyen par lequel l'instrumentiste façonne la matière. Avec l'ordinateur et la synthèse numérique du signal, la question des degrés de liberté de l'instrument virtuel est autrement plus complexe. Tout d'abord, la lutherie numérique peut être définie comme une combinaison hautement instable de trois notions : l'instrument au sens de corps sonore, la machine, comme moyen de calcul et d'opération programmée, et la représentation qui permet aux deux premières catégories d'interagir et au musicien de spécifier ou de modifier les données circulant dans la lutherie. Depuis la fin années 1950, les travaux sur la synthèse portent sur des aspects variés de ces trois catégories. Aujourd'hui, les études sur le contrôle de la synthèse, comme celles menées par Laurent Pottier et par de nombreux chercheurs, comme Marcelo Wanderley ou Andy Hunt sur le rôle du contrôle gestuel, sont très développées. On trouve même, dans les recherches les plus avancées, une intégration de ces catégories, comme c'est le cas à l'ACROE avec les travaux de Claude Cadoz. On sait que, dans les années 1920, les constructivistes russes définirent leur projet artistique en déliant l'acte de création du matériau sur lequel il s'exerce. Avec le concept de tectonique, les constructivistes établissent un plan idéologique, qui, selon les paroles de Alexis Gan dans son ouvrage de 1922, Le Constructivisme, « doit dans la pratique amener les constructivistes à la synthèse d'un contenu nouveau et d'une forme nouvelle. » Il offre donc un cadre, dans lequel on trouve sans nul doute un aspect du style à mettre en oeuvre, qui permet à la faktura de s'épanouir. Quel est donc le concept de faktura? Rodtchenko (1920) le définit comme « un matériau choisi consciemment et utilisé rationnellement n'arrêtant pas la dynamique de la construction et ne limitant pas la tectonique 1 ». Promu par ce mouvement artistique au rang de catégorie esthétique, il nous permet aujourd'hui de considérer l'un des apports de la naissance de l'art moderne, qui est l'indépendance des constituants de l'oeuvre. Qu'il s'agisse là de peinture et de sculpture ne doit pas nous arrêter. En effet, on retrouve aussi la catégorie de faktura chez les poètes futuristes russes. Pour la musique, et, singulièrement, dans ce qui procède de la synthèse du son, cette notion nous vient en aide pour tenter de comprendre comment il est possible d'imprimer au matériau, qui est le sujet de la faktura, l'intention artistique du créateur. Nulle part ailleurs que dans la synthèse, cette liberté d'action sur la matériau n'est plus à nu. L'acte de synthèse rend possible une sculpture de l'onde que, aujourd'hui, et grâce aux travaux de Max Mathews, l'ordinateur rend possible en calculant les innombrables échantillons qui composent le signal sonore. Toutefois, la faktura n'est pas, chez les constructivistes, déliée des contingences de son environnement. Elle s'attache à la tectonique, comme déterminant stylistique, et à une troisième catégorie définie sous la plume de ces auteurs, la construction. C'est elle qui permet la mise en oeuvre proprement dite, et s'apparente donc aux techniques de réalisation.

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Citer

Marc Battier. De la phonographie à la lutherie numérique. L'épiphanie du son artificiel. Journées d'Informatique Musicale, May 2002, Marseille, France. ⟨hal-02992588⟩

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